La surréglementation est l’un des plus grands défis auxquels est confronté le secteur, mais comment l’éviter ? Pour en discuter, Laura Barre, conseillère juridique à l’ACA, a invité Nicolas Limbourg, CEO de VITIS LIFE et Vice-Président de la Commission Internationale Vie, à nous partager sa vision dans un nouvel épisode des « ACA Voices #Législatives2023 ». Ensemble ils abordent la définition de la surréglementation, ses évolutions et ses conséquences pour le secteur.
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Vous écoutez « ACA Voices », une série de podcasts, proposée par l’ACA : la voix du secteur de l’assurance et de la réassurance luxembourgeoise. Nous sommes ravis de vous accueillir dans cette série de podcasts dédiée aux principaux enjeux et défis du secteur. Le secteur de l’assurance et de la réassurance est une composante essentielle de l’écosystème financier luxembourgeois. À travers ces épisodes, et voix d’experts, nous vous proposons de découvrir les différentes propositions que l’ACA porte en vue des élections législatives d’octobre 2023 pour que le secteur conserve son attractivité, son dynamisme, et serve au mieux les intérêts sociaux du pays.
Bonjour à tous, je m’appelle Laura Barre et je suis conseillère juridique au sein de l’ACA. Le thème que nous allons aborder aujourd’hui est celui de la surréglementation. Il est également appelé « Gold Plating » et c’est une des priorités pour le secteur de l’assurance à Luxembourg. Pour discuter de ce sujet, j’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui Nicolas Limbourg, qui est CEO de la compagnie VITIS LIFE et Vice-Président de la Commission Internationale Vie. Bonjour Nicolas.
Bonjour Laura.
Je te remercie de ta présence avec nous aujourd’hui. La première question que j’ai envie de te poser, c’est sur la définition même de la sur réglementation. Quand on cherche quelques informations sur la surréglementation, la description qui est la plus répandue, c’est le fait pour un État membre de transposer des réglementations dans son cadre juridique national en introduisant des procédures supplémentaires qui ne sont pas nécessairement requises dans les réglementations européennes. Est-ce que cette description, ça te semble être une bonne définition du « Gold Plating » et de la surréglementation ?
Oui, en tout cas, ça rejoint l’une des deux définitions que pour ma part, j’identifierais plutôt comme le fait d’ajouter une réglementation non nécessaire ou non proportionnée à une activité qui est déjà régie par une norme, quelle qu’elle soit, que l’entreprise doit respecter. Ça peut être aussi un phénomène qu’on observe depuis quelques années, vu les processus réglementaires, surtout au niveau européen. Le phénomène qui consiste à démultiplier les réglementations de niveau équivalent ou avec des hiérarchies de normes différentes, sans que cela soit suffisamment coordonné ou à nouveau, sans que cela soit nécessaire ou proportionné. Ces deux phénomènes peuvent effectivement donner lieu à ce qu’on peut appeler le « Gold Plating » c’est-à-dire aller au-delà de ce que la réglementation prévoit à l’origine.
Très bien. Par rapport à cette définition, on voit qu’elle peut être très large. J’ai envie de te rappeler le dernier podcast auquel tu étais invité pour les « ACA Voices », c’était en septembre 2020. Tu anticipais à cette époque-là une nouvelle vague réglementaire à la suite de la période de Covid-19. Ma deuxième question, ce serait de te demander deux ans et demi plus tard, est ce que c’est ce que tu as pu observer ?
Il n’y a pas eu de pause, ça, c’est clair. Il n’y a pas eu de pause. On a dû gérer, outre les aspects réglementaires, la crise en Ukraine et puis toutes les conséquences avec le retour de l’inflation. Mais au niveau réglementaire, il est clair qu’il n’y a pas eu de ralentissement. Pour moi, en tout cas, ce qui est clairement un paquet très important aujourd’hui que nous devons gérer au niveau du secteur de l’assurance comme l’ensemble des acteurs du secteur financier, c’est tout : le volet de la finance durable. Où, là, je dirais que même si on a tous la conviction que c’est le chemin vers lequel nous devons aller au niveau du secteur financier, il est clair que là, on se trouve dans ce phénomène de surréglementation, où il y a clairement un manque de coordination au niveau de l’ensemble de la réglementation auquel on fait face et auquel nous allons encore faire face pour les prochains mois et certainement les prochaines années. Ça, je dirais que c’est certainement un exemple qui met en évidence les dérives de cette surréglementation.
Et du coup, de ton expérience, quelles sont les conséquences les plus dommageables de la surréglementation sur le secteur de l’assurance ?
Il peut y avoir plusieurs conséquences de nature très diverses et variées. Si je peux en citer quelques-unes, je citerai tout d’abord le risque de perte de rentabilité et de compétitivité au sein de notre secteur, en tout cas du secteur de l’assurance, que ce soit en Vie ou en Non-Vie, compte tenu d’une part des coûts d’implémentation des nouvelles réglementations, du risque de perte d’efficacité si cette surréglementation représente des obstacles à la distribution de nos produits et de nos services. Ça peut représenter également des risques juridiques qui s’accroissent, tant pour les entreprises d’assurance que pour les clients d’ailleurs. À force de vouloir faire plus, toujours plus, on peut oublier les bases et les principes de base à respecter qui vont être noyées par des questions de détail qui, à la fin, ne sont pas forcément les choses les plus importantes à réglementer. Une complexification également de la réglementation qui peut entraîner dans le chef de nos clients une perte de confiance dans le secteur financier ou dans le secteur des assurances plus en particulier. Là, je citerais par exemple la réglementation PRIIPS qui a donné lieu à l’émission de Documents et Informations Clés, l’Europe elle-même a reconnu que la méthodologie qui n’avait pas atteint l’objectif, qui était de faire preuve de plus de transparence vis-à-vis des clients, l’Europe a décidé de revoir sa copie, puisqu’ il y a quelques mois, il y a eu des évolutions au niveau du règlement PRIIPS, mais c’est mon avis personnel, mais je dois néanmoins reconnaître qu’aujourd’hui, l’objectif en matière de transparence et de clarté pour les clients n’est à mon sens pas encore atteint.
Donc ce phénomène de complexification qui peut amener une certaine méfiance, en tout cas des clients, face à la masse d’informations auxquelles ils sont confrontés au regard de la réglementation que nous devons respecter. Et pour terminer, je citerai le risque également que la surréglementation peut accentuer des phénomènes qu’on observe déjà en tant qu’entreprise d’assurance qui pratique la libre prestation de services, c’est notamment le risque de multiplication de nouveaux conflits de lois puisque quand les États doivent transposer des directives ou des règlements européens, ils ne font pas forcément de la même manière, y compris pour les règlements européens qui, en principe, devraient être tout à fait similaires. Et puis enfin, autre phénomène accentué par cette surréglementation, c’est la poursuite et l’accélération, du phénomène d’uniformisation de l’ensemble de nos produits et de services, au détriment de leur diversité et au détriment de l’innovation, ce que nous cherchons tous à pouvoir amener pour nos clients.
Oui, c’est ce que tu viens d’expliquer. On a deux phénomènes parallèles. On a une grande complexification des procédures qui peut apporter parfois plus de confusion qu’autre chose. On a une simplification des produits. Donc clairement, la surréglementation n’est pas nécessairement bénéfique, loin de là. Elle est même parfois beaucoup plus compliquée à gérer. Selon toi, quels seraient les meilleurs moyens de lutter contre cette réglementation et d’éviter ces effets néfastes ?
Je dirais qu’on a tous un rôle à jouer, il est clair. L’ACA, certainement, vous représentez la voix du secteur pour nous aider à faire passer les messages. Mais je dirais qu’avant d’évoquer le rôle de l’ACA, en tant qu’acteur, chacun, au niveau de son entreprise d’assurance, on a un rôle à jouer. Je considère qu’on doit être responsable et vertueux pour maintenir la réputation de notre secteur, servir au mieux les intérêts de nos clients et surtout éviter que les manquements de l’un d’entre nous ne donnent lieu, justement, à une réaction qui peut donner lieu à de nouvelles réglementations qui elles-mêmes entraînent une surréglementation non nécessaire ou non proportionnée. Donc ça, je pense, c’est très important. On a chacun un autre rôle à jouer. Ensuite, il y a cette dynamique à laquelle l’ACA est étroitement associée, qui est celle d’informer et de communiquer, et ce, à tous les niveaux de pouvoir réglementaires, afin d’intervenir de manière constructive et la plus rapidement possible dans le processus d’établissements des nouvelles réglementations. Plus concrètement, ça signifie au sein du secteur de l’assurance qu’au niveau européen, il faut se tourner vers les représentants de la Commission européenne, du Conseil, du Parlement, de l’EIOPA.
Ça, au travers l’ACA, au travers des relais que nous avons via Insurance Europe ou au travers le nouveau bureau qui a été mis en place à Bruxelles avec nos collègues de l’ABBL et de l’ALFI, de manière à faire passer certains messages au niveau européen. Au niveau local, évidemment, en poursuivant nos échanges très constructifs avec notre ministre des Finances et son cabinet, de même qu’avec les représentants du paneuropéenne, vers les autorités des paiements de l’Espace économique européen, afin notamment de désinformer sur les spécificités du secteur de l’assurance Vie à Luxembourg.
Merci Nicolas. Du coup, effectivement, on a plusieurs moyens d’action pour éviter cette surréglementation. Avant de conclure ce podcast, je voudrais te demander si tu aurais des conseils particuliers pour éviter la surréglementation.
Je dirais deux conseils pour moi qui sont assez importants. C’est déjà d’appliquer avec rigueur toute la réglementation déjà existante. Il y a beaucoup de choses qui existent et ce que je remarque, c’est qu’il y a parfois des mécanismes qui ne sont pas appliqués ou en tout cas pas suffisamment appliqués. Un exemple, c’est les échanges entre les régulateurs nationaux au niveau du secteur de l’assurance. On sait que ces échanges sont organisés au travers des directives européennes depuis de nombreuses années. Je pense qu’il y a moyen de faire plus sans ajouter quelque chose de nouveau, puisqu’on sait que dans le cas de la révision de la directive sur solvabilité 2, il est prévu d’ajouter de nouvelles choses. De la même manière, au niveau de la lutte contre le blanchiment de capitaux, les autorités chargées de la lutte contre le blanchiment de capitaux au niveau national échangent des données lorsqu’elles font le constat qu’il y a des soupçons contre des contribuables d’un autre pays de l’espace économique européen. Donc, elles échangent entre elles. Et là aussi, il est prévu d’ajouter quelque chose. Je ne dis pas que ce n’est pas ce qu’il faut faire, mais je dis juste qu’à mon sens, il faut aller au bout, déjà, de la réglementation et faire l’analyse de ce qui ne fonctionne pas avant d’ajouter de nouvelles choses.
Ça, c’est la première chose. Une autre démarche qui, à mon sens, est extrêmement importante, c’est d’être plutôt dans une démarche où la nouvelle réglementation vient amener une vision et de ne pas être dans une réglementation qui est une réaction à quelque chose. Ça, je pense, c’est très important parce que quand on réagit à un élément, ça veut dire que c’est pour corriger quelque chose et on est souvent dans quelque chose qui est très rapide avec un manque de vision. Je pense qu’il faut anticiper les choses de manière à être vraiment dans une réflexion qui va donner lieu à des réglementations qui permettent de faire avancer le secteur, de lui donner une direction et une véritable vision pour le futur. Enfin, deux autres conseils que j’aurais également tendance à donner, c’est qu’on remarque beaucoup dans les réglementations qu’en Europe, on oublie que les citoyens européens naissent, vivent, décèdent dans des pays différents. Et on est souvent dans des logiques très nationales. Et je pense que c’est très important d’ajouter toujours cette logique de transfrontière paneuropéenne, de manière à faire en sorte que les réglementations puissent de manière fluide s’appliquer à tous les citoyens de l’espace économique européen.
Et puis, dernier conseil que j’ai à donner, qui est spécifique aux secteurs de l’assurance, c’est de ne pas confondre produits d’assurance et produits bancaires. On a tendance à vouloir tout mettre dans la même case. C’est comme si demain vous vouliez qualifier du champagne, des vins de Bourgogne et du soda comme étant une boisson. Non, je pense que chaque, que ce soit le vin de Bourgogne, le champagne ou du soda, ils ont chacun leurs spécificités. C’est la même chose au niveau des produits, au niveau du secteur financier. Un contrat d’assurance n’est pas un produit bancaire, même s’il peut contenir beaucoup d’actifs financiers, ça reste un contrat d’assurance et ça répond à une logique très différente d’un produit financier que l’on peut rencontrer au travers du secteur financier. Voilà pour les conseils. Pour terminer, je donnerai un autre conseil qui ne vient pas de moi. Je citerai simplement Montesquieu, qui a dit « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Ça, je pense que c’est important pour toute personne qui participe à un processus législatif de bien toujours se remémorer cette citation de Montesquieu. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »
Merci Nicolas. Merci pour ton intervention. Merci pour ta présence. Effectivement, cette dernière pensée de Montesquieu, elle me permet de rappeler les revendications de l’ACA sur le sujet de la surréglementation. C’est véritablement de transposer les directives rapidement au niveau national et d’éviter tout phénomène de surréglementation ou de « Gold Plating ». L’objectif reste de se conformer, comme c’était le cas dans le passé, aux principes de transposition, toute la directive et rien que la directive.
Merci beaucoup.
Merci à toi, Laura.
Merci d’avoir écouté cet épisode, nous espérons qu’il a répondu à vos attentes sur le sujet. Retrouvez cet épisode ainsi que l’ensemble des revendications que l’ACA porte en vue des élections législatives d’octobre 2023, à travers un dossier dédié disponible sur le site : www.aca.lu N’hésitez pas à contribuer au rayonnement du secteur, et des sujets qui s’y rattachent en partageant cet épisode et en rejoignant la communauté sur notre page LinkedIn « ACA Luxembourg ». Rendez-vous au prochain épisode
L’ACA et le secteur luxembourgeois de la (ré)assurance attendent des futurs dirigeants politiques luxembourgeois qu’ils soient attentifs à différents enjeux et défis auxquels est confronté le secteur sur le plan local et sur le plan international. Concrètement, pour que le secteur conserve son attractivité et son dynamisme, et serve au mieux les intérêts sociaux du pays, l’ACA formule 9 revendications à l’attention des partis politiques, en vue des élections législatives d’octobre 2023.